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Andreï Kourkov, un écrivain en guerre (La Presse)

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Par CHANTAL GUY

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’écrivain Andreï Kourkov est sur toutes les tribunes, mais très peu pour parler de son nouveau roman, Les abeilles grises. Comme il est demandé partout, parce qu’il est l’un des auteurs ukrainiens les plus connus dans le monde depuis le succès du roman Le pingouin, traduit en 2000, il n’a pas été facile de l’accrocher par Skype, parce qu’il était en déplacement à Londres, Oslo et Paris, avant de retourner en Ukraine, qu’il ne veut pas quitter dans la tourmente

Alors je lui demande : quel est le rôle d’un écrivain en temps de guerre ?

« La littérature est oubliée, dit-il. J’ai arrêté d’écrire mon nouveau roman, je ne sais pas quand je serai capable de continuer. Je suis engagé dans l’information sur la guerre pour le public étranger, parce que je suis connu dans quelques pays. Je peux écrire des articles, faire des interviews, des rencontres, des conférences. Je ne suis pas le seul écrivain ukrainien à faire cela. C’est la vie aujourd’hui, parce que les journalistes ne peuvent pas tout faire. Ils peuvent expliquer dans des reportages ce qui se passe, mais le pourquoi, c’est à nous de l’expliquer. Pourquoi cette guerre a commencé, pourquoi le président Poutine veut détruire l’Ukraine. »

Mais j’aimerais malgré tout parler un peu de littérature, puisque son roman porte sur la guerre du Donbass, où s’affrontent les soldats ukrainiens et les séparatistes prorusses depuis 2014. C’est un roman qu’il ne voulait pas écrire, il attendait que ce conflit prenne fin. Et les années ont passé depuis qu’est née l’idée de ce roman après une conversation avec un jeune du Donbass qui a déménagé à Kyiv pour y ouvrir un café. Ce jeune homme allait régulièrement voir les rares familles restées dans un village coincé dans les affrontements, presque sur la ligne de front, pour leur porter des denrées, parce qu’il n’y avait plus d’électricité, de magasins, d’essence ou de bureau de poste. « J’ai compris que c’est une zone grise, un no man’s land, sans contrôle. C’est-à-dire que tu restes seul responsable de toi-même et de ton destin. J’ai voulu donner une voix à ces civils. »

Parce qu’il trouvait qu’en Ukraine, il y avait beaucoup de romans sur ce conflit, avec trop de héros et de batailles, et pas assez de ces civils qui sont rattrapés par la guerre. Dès le début de son roman, on comprend l’absurdité et le tragique de la situation, avec deux personnages, Sergueïtch et Pachka, ennemis depuis l’enfance, qui sont forcés de pactiser un peu sous les tirs, parce qu’ils sont maintenant les deux seuls habitants de leur village. Sergueïtch est apiculteur ; la seule chose qui compte pour lui, ce sont ses ruches, qu’il va devoir transporter loin des bombes. Et ce sera toute une virée, sous l’œil du « grand frère russe » qui n’est jamais loin. « Ce sont des gens qui travaillent beaucoup, qui sont honnêtes, explique Andreï Kourkov. Ce sont les représentants d’un prolétariat oublié, qui pensent encore que le communisme était possible, mais que la corruption des anciens communistes a détruit le rêve du prolétariat. »

Et l’écrivain rajoute que les seules qui ont réussi à créer une société communiste, ce sont les abeilles… « Elles n’ont besoin de rien, elles travaillent, produisent du miel et sont contentes. »

Pourquoi les animaux ou les insectes ont-ils une si grande importance dans son œuvre ? « Parce qu’ils sont naturels. On sait ce qu’on peut attendre des chats et des chiens, des panthères, des abeilles. On ne sait jamais ce qu’on peut attendre des gens comme Poutine. Si on compare les insectes et les chefs d’État russes, je préfère les insectes. Je préfère aussi le coronavirus à ces gens. C’est plus facile de survivre pendant la pandémie que pendant la guerre. »

Andreï Kourkov va plus loin : « Ce qui se passe aujourd’hui, c’est un massacre, ce n’est pas la guerre. On détruit des écoles, des lycées, des universités, des églises, des mosquées, des synagogues, des musées, des monuments, des bibliothèques, des théâtres… Ce n’est pas la guerre. C’est une tentative d’exterminer une nation, un peuple. » En revanche, il croit que depuis 20 ans, Poutine n’a fait que consolider la nation ukrainienne.

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