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Bernard Stiegler sur la crise sanitaire (MediaPart)

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Bernard Stiegler en 2016 © DR

Démesure, promesses, compromis (1/3), par Bernard Stiegler

  • 5 SEPT. 2020
Il y a un mois disparaissait Bernard Stiegler. En hommage à sa mémoire et en accord avec sa famille, Mediapart publie la réflexion sur la crise sanitaire qu’il nous avait fait parvenir peu de temps avant son décès, texte qu’il avait conçu en trois épisodes. Voici le premier qu’il avait intitulé « Crédit et certitude ».

1. Crédit et certitude

 La crise sanitaire est loin d’être terminée, et la crise économique qui en résulte ne fait que commencer. L’ampleur et la nature de cette catastrophe sont incomparables aux événements historiques qui jalonnèrent jusqu’alors La grande aventure de l’Humanité, et tels qu’Arnold Toynbee les décrit dans cet ouvrage. En 1976, l’historien britannique posait en principe la possibilité imminente d’une telle catastrophe, tout en soulignant qu’elle procéderait à la fois d’une tendance suicidaire des civilisations et d’une exploitation démesurée de la biosphère.

Une tendance suicidaire collective peut apparaître dans une civilisation lorsque le crédit qu’elle s’accorde, et qui fonde la puissance de sa solidarité organique, se trouve compromis pour un motif quelconque – invasion, catastrophe naturelle, corruption, famine, maladie. Aristote appelait philia la solidarité qui fait la durabilité des sociétés – qu’il observait lui-même du point de vue de la cité, polis, et ce point de vue constitua ce qu’on appelait depuis Platon la politique.

Comme principe fondamental de la politique, la philia signifie que toute société suppose un crédit que s’accorde le groupe social, partagé par ceux qui forment ce groupe, et qui leur fournit le gage de confiance mutuelle primordiale sans lequel aucun échange ne pourrait s’instaurer durablement, ni entre ses membres, ni entre ses générations. Dans les sociétés les plus anciennes, ce gage est surnaturel et magique. Dans les sociétés religieuses, il est divin et théologique. Dans nos sociétés, il se nomme la raison – laquelle doit être partagée par tous, au sein d’institutions qui y sont vouées, à commencer par l’école, et qui sont fondées sur une épistémologie.

Le crédit, qui est transgénérationnel, doit être entretenu et sans cesse renforcé par des institutions et des pratiques sociales – de la magie chamanique à la certification industrielle en passant par l’appareil lithurgique des grandes religions. Il organise les processus d’anticipation et de prévoyance au sein de cosmologies qui ordonnent l’avenir au passé qu’est l’expérience léguée par les ascendants. Cet ordonnancement, qui constitue l’ordre social, s’opère à travers rituels, calendarités, archives, instruments d’observation, instruments de mesure, calculs et théories.

On dit modernes les temps au cours desquels la science vient au cœur de la certification, fondant ainsi un crédit se croyant émancipé de toute croyance, et que fondera, au début de l’âge classique, une certitude primordiale : celle de l’ego cogito (le je pense cartésien). C’est à partir de cet ego échappant pour Descartes à toute forme de doute, et fondant la certitude d’un sujet devenu moderne en cela, que tout ce qui est pourra devenir objet d’observation, de mesure, de calcul et de théorie – d’objectivation, c’est à dire aussi, pour Descartes, de maîtrise et de domination (y compris comme domination des peuples n’ayant pas eu eux-mêmes accès à cette certitude et à ses processus de certification, et qui seront asservis à travers l’aménagement de cet accès mis au service du colonialisme).

C’est ainsi que se constituera la forme très singulière de confiance, de croyance et d’espérance qui aura été nommée au XVIIIè siècle le progrès, et qui deviendra au XIXè siècle le dogme commun – donnant lieu à deux interprétations politiques et économiques opposées : les discours de l’émancipation sociale par l’éducation, d’une part, y compris comme éducation par la lutte, et, d’autre part, les discours du dynamisme marchand fondé sur la concurrence, point de vue qu’une interprétation fallacieuse de Darwin viendra accentuer comme darwinisme social, ce que le néolibéralisme se réappropriera au XXè siècle de diverses manières.

Avec le libéralisme, économique aussi bien que politique, la certitude moderne deviendra celle de l’individualisme fondant une société conçue comme calcul généralisé effectué par le marché (ce qui sera théorisé par Friedrich von Hayek), et certifié via de nouveaux organes d’échanges symboliques, qui apparaîtront au cours du XXè siècle, et qui seront produits par les industries de l’information et de la communication. Celles-ci transformeront le symbolique en informations calculables, et désymboliseront en cela le crédit.

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